• chapitre III

    - comment ça tu marches ? C’est quoi ces conneries ?
    - oui, je marche. Tu sais plus ce que c’est ? Le truc qu’on fait sans voiture…
    - te fous pas de moi en plus ! Et ton boulot ? Ton patron ?
    - ils peuvent s’en sortir sans moi, c’est pas compliqué tout de même
    - non mais je rêve… tu vas te faire virer !
    - et bien tant mieux, depuis le temps que ce boulot me prend la tête
    - faut vraiment que tu penses à grandir, t’es complètement inconscient
    - …
    - je t’ordonne de rentrer tout de suite, tu m’entends ? Tu rentres !!
    - clic !

    La technologie moderne a cet avantage qu’elle rend tout virtuel. Les disputes se font désormais à distance, ce qui ne fait certainement pas l’affaire des marchands de vaiselle et des dentistes. Mais il faut reconnaitre le plaisir incomparable qui consiste à clouer le bec de sa partenaire d’une simple pression sur un bouton de téléphone. Evidemment, cette petite gâterie ne dure jamais bien longtemps. Car elle a les mêmes conséquences qu’un boomerang : plus le geste de départ est fort, plus le retour à l’envoyeur est violent. Je m’efforce donc, pendant de longues minutes, à ne pas tenter d’imaginer mon retour à la maison. J’oblige mes pensées à s’égarer sur les scènes anecdotiques qui ponctuent mon parcours post-métropolitain : un gamin qui essaye de convaincre sa maman de lui acheter des ballons, un vieux monsieur traversant l’avenue seulement aidé de sa canne et sous le regard dangereusement indifférent des automobilistes, les innombrables publicités collées aux murs, aux vitrines, aux façades, aux bus, aux camions, aux…

    La sonnerie du téléphone. Inutile de consulter l’écran pour savoir qui m’appelle. Encore une pollution, une de plus, dans cette journée déjà trop longue que je rêve pourtant si pure. Et puisque la Seine est déjà polluée, personne ne m’en voudra de faire voler au-dessus des eaux mon petit bijou numérique qui ne me rattache que trop à cette existence que j’ai décidé, au moins pour aujourd’hui, de fuir.

    Finalement, c’est ce genre de geste insensé qui vous en apprend beaucoup sur la nature et sur ce qui l’entoure. Combien de gens savent si un téléphone portable flotte ou coule lorsqu’il tombe dans l’eau ? Avant de balancer le mien dans cette Seine dégueulasse, je n’en avais pas la moindre idée. Maintenant je sais, et je m’aperçois soudain que c’est la première bonne nouvelle de ma journée, mon premier sourire.

     

     


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