• chapitre V

    La journée se déroule comme le temps. Gris, humide, avec de lourds nuages bas. Voilà donc à quoi ressemble la liberté en automne ? La prochaine fois, c’est promis, je fuguerai au printemps. Ma déprime sera moins pénible sous les cerisiers en fleurs. Je ne rêve même pas du soleil, je n’ai pas assez d’ambition pour ça. Et puis, de toute façon, j’ai toujours préféré la lune. Un astre froid, mais discret, qui ne fait pas de quartier mais qui est toujours au rendez-vous. Un être qui fait pousser les cheveux, qui maitrise l’océan et qui provoque les accouchements. Oui, enfin bon… Je n’en demande pas autant. Mes pensées s’égarent.

    C’est vrai que j’aurais aimé provoquer des accouchements, avoir un enfant. Mais rien que le fait d’en parler au conditionnel anéantit chez moi toute volonté de contrer mon destin. Il ne faut pas se raconter de salade : pour être un bon père, il faut avant tout être un bon époux. Et de ce côté-là, mon bilan n’est pas flatteur. A qui la faute ? Un peu à tout le monde sans doute. Mais surtout et avant tout à tous ces mauvais films et ces romans à dix sous (je n’aime pas l’euro ni les anciens francs) qui vous promettent l’amour comme on vous vendrait le dernier coupé Mercedes….

    - Vous verrez M’sieur, avec cette merveille entre vos mains votre vie s’ra plus la même…
    - Un vrai bijou je vous dis ! Vous vous demanderez comment vous faisiez avant
    - Vous pourrez plus vous en passer, vous allez devenir accroc, faites-moi confiance
    - L’essayer, c’est l’adopter !
    - Vous allez faire des jaloux dans le quartier…
    - Incomparable je vous dis !!

    Oui, bien sûr… Au début, on croit à toutes ces conneries parce qu’on a envie d’y croire. Ce n’est même pas de la naïveté. Simplement, on se croit plus fort que nos pères, que nos oncles, que la terre entière réunie. On sait bien qu’un mariage sur deux finit dans le décor, mais ces choses-là n’arrivent qu’aux autres. Nous, on est plus malin, plus intelligent, plus beau. Et on épouse LA femme, celle que personne d’autre n’a su trouver avant nous. Non, nous on n’est pas comme les autres et on va montrer à la vie de quel bois on se chauffe. On va lui montrer qui commande et qui décide. On va pas vivre notre vie, on va la bouffer !!

    Alors merde, que se passe-t-il entre ce moment où on se prend pour Dieu et le jour où on se réveille avec cette méchante odeur de vie cramée dans la bouche ? A vrai dire, j’en sais rien. Je crois que les forces nous quittent petit à petit et qu’on perd l’envie de se battre. On devient comme un fauve en cage qui s’habitue à être nourri et qui perd l’envie et le talent pour aller chasser lui-même sa bouffe. On devrait nous apprendre à l’école que l’homme est un lion et la femme une gazelle. On devrait aussi nous obliger à utiliser un crayon plutôt qu’un ordinateur pour dire je t’aime ou je t’emmerde. La vie moderne nous éloigne les uns des autres, rend tout virtuel et nous transforme en rois gras et fainéants. Et comme Dagobert, j’ai mis ma culotte à l’envers. Pire, j’ai renvoyé le bon saint Eloi…

    Il est midi. Faut que je rentre.


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